Vers une nouvelle vie en terres inconnues, avec Thierry Van Cauwenberghe

Candidat à une nouvelle vie d’aventure sportive et humaine en Equateur, Thierry Van Cauwenberghe a tout d’abord redécouvert la montagne en août 2014, lorsqu’il a traversé les Pyrénées, pour aller prendre l’avion à Madrid. Thierry n’avait pas quitté le Berry depuis vingt ans. Il a trouvé que le monde avait bien changé.

Avec un peu d’appréhension et des yeux d’enfant découvrant le monde, Thierry s’est envolé pour l’Equateur. Un pays lointain, dont il maîtrise très peu la langue, même si Graciela Préault, la présidente de l’association Equateur France Athlétisme, lui donne des cours depuis plusieurs mois.

Dès l’arrivée, sur le trajet entre l’aéroport et le centre de Quito, Thierry a déjà eu un bref aperçu de ce pays en plein développement. Un pays qui évolue, mais où la lenteur et la complexité administratives sont omniprésentes, comme il a pu en juger lors de son passage au service central de l’immigration. En Equateur, il faut s’armer de patience !

Jeudi 7 août, Thierry prend le car pour se rendre à Riobamba puis à la communauté du Chimborazo. Un voyage en pleine immersion dans le monde des indiens. Cette population, il devra la côtoyer tout au long de son séjour, pour mener à bien la mission qui lui a été confiée par l’association Equateur France Athlétisme : entraîner les jeunes athlètes du collège du Chimborazo. Quand Thierry découvre enfin son nouvel univers, c’est le choc : ici, à trois mille deux cents mètres d’altitude, ce n’est plus la ville, mais un grand hameau avec des habitants d’un autre monde, aux coutumes ancestrales biens ancrées. De rencontres en découvertes, Thierry prend ses marques et s’installe.


Vendredi 5 septembre 2014

Je m’adapte assez bien à ma nouvelle vie, après un départ un peu laborieux, mais ce sont là les aléas de l’existence. Je suis bien installé chez Francisco. J’entraîne les « gorditas » trois jours par semaine, dès cinq heures du matin. C’est un peu tôt et j’espère que le projet du collège du Chimborazo va rapidement prendre forme. La mise en place n’est pas simple. Francisco et moi travaillons d’arrache pied sur la mise en place du projet de l’association :

– le 23 août, nous avons eu un premier rendez-vous avec Asencio, l’ancien président de la communauté. Ce fut un déplacement sans réel avancement, mais nous avons tout de même obtenu les coordonnées du nouveau président.

– le 30 août, rendez-vous avec le nouveau président, à qui Francisco et moi avons exposé le projet de mettre en place une école d’athlétisme, par l’intermédiaire de l’association Equateur France Athlétisme. Après nous avoir écoutés attentivement, le président nous avouera, à son grand regret, un manque de communication entre l’ancien et le nouveau bureau. Il nous donne un nouveau rendez-vous avec des enfants et d’autres membres du bureau pour le 8 septembre.

Lundi 8 septembre

Nous étions attendus par le président de la communauté, accompagné de deux membres du bureau et de seize enfants, de 6 à 14 ans. Francisco a exposé le projet global à l’assemblée, ainsi que les bienfaits du sport sur la santé. Nous avons déterminé ensemble les jours et heures des entraînements, soit le lundi et le vendredi, de 14 à 15h30. La première séance est prévue pour le lundi 15 septembre.

Pour le reste, je m’adapte pas trop mal. J’ai fait deux courses : une de cinq et une de huit kilomètres et je progresse un peu en espagnol.

Lundi 15 septembre 2014

Première séance d’entraînement avec 14 enfants présents.

Vendredi 19 septembre

16 enfants présents

Lundi 22 septembre 2014

Un gros orage, donc pas d’athlé, mais j’en profite pour discuter un peu avec le président de la communauté, qui porte beaucoup d’intérêt au projet. Il me manque juste un peu de matériels.

Le travail avec les « gordidas » progresse bien lui aussi. Il y a environ vingt personnes à chaque séance. Je voudrais développer la marche nordique. Il va falloir que je me procure des bâtons.

Tout compte fait, je commence à bien me plaire dans ma nouvelle vie…

Dimanche 30 novembre 2014

Après une petite interruption dans les nouvelles pour cause d’installation et d’organisation dans ma nouvelle vie, je débute par une bonne nouvelle : il y a un nouveau recteur au collège du Chimborazo qui est beaucoup plus coopératif. Comme lundi dernier je m étais déplacé pour rien, car il n’y avait personne pour ouvrir le stade, il m’a fait faire un double de clef, pour que je puisse avoir accès au stade selon mes besoins.

Il y a toujours entre quinze et vingt-cinq enfants présents à chaque séance. Je regrette juste de ne jamais voir personne de la communauté.

Pour les bâtons de marche nordique, j’ai revu un peu mes ambitions à la baisse, après avoir une nouvelle fois eu la grippe et une bonne crise d’asthme qui m’a conduit aux urgences.

J’ai perdu beaucoup de force et encore un ou deux kilos et je manque un peu d’énergie pour assurer des séances chaque jour, mais deux après-midi par semaine j’entraîne des candidats qui veulent devenir pompier ou policier.

Depuis qu’il est arrivé en Equateur, Thierry continue de s’entraîner et de courir.

Anecdote : Il y a quelques semaines,  Thierry a décidé d’aller avec son ami Francisco participer à une course à Ambatillo, un village situé à 3000 mètres d’altitude.

Départ de la course prévu à seize heures. Engagement : cinq dollars.

Thierry s’échauffe. A seize heures le speaker fait l’appel nominatif des coureurs inscrits (150 inscrits).

Le maire du village arrive, fait un discours, puis annonce qu’il offre la soupe aux participants.

On mange la soupe, puis on s’échauffe à nouveau. Le pasteur évangélique arrive et invite tout le monde à rejoindre son église, afin qu’il bénisse les participants et prononce un sermon.

Le speaker présente Thierry au pasteur : « Cet homme est un exemple à soixante-et-un an, de courir, de n’avoir jamais fumé, ni bu et qui plus est de s’être abstenu sexuellement toute sa vie… C’est un exemple ! »

Enfin arrive le départ de la course. Il est 17h30. (En Equateur il fait nuit à 18 heures). C’est une course de douze kilomètres.

Thierry se retrouve rapidement en dernière place de la course. Il est seul quand il arrive à une patte d’oie. A gauche ça descend, à droite ça monte très fort. Thierry décide de descendre… Après quelques dizaines de mètres il aperçoit des indiens qui lui font signe qu’il fait fausse route.

Thierry fait demi tour et reprend le cours de la course. Finalement, il arrive bon dernier, mais tout le monde l’a attendu et il est récompensé par un panier garni de produits locaux.

C’était une belle journée et une belle course, mais il est 22h30 et il n’y a plus de bus ni de taxis pour repartir…

Contacté en visio-conférence le 8 août 2015, Thierry Van Cauwenberghe nous a fait part de changements survenus à la fédération équatorienne d’athlétisme. Son hôte, Francisco Roldan Lopez, va devoir déménager dans les mois qui viennent, parce qu’il n’est plus employé par la fédération en tant que concierge. Néanmoins, Francisco continuera d’être employé en tant qu’homme de ménage, en gardant le même salaire. Mais pour lui la situation va être plus difficile, car jusqu’à présent comme il était logé gratuitement il ne payait pas de charges.

Par voie de conséquence, Thierry va se retrouver lui aussi sans logement fixe et il ne se voit pas vivre à demeure, avec les amis d’Ambato qui l’hébergent de temps à autre. De plus, Thierry est fatigué physiquement et n’arrive pas à récupérer. La fatigue aidant, il attrape un peu tous les virus qui traînent. « Je ne peux plus assurer les cours de marche nordique le matin à cinq heures, c’est devenu trop dur » !

Après un an passé sur place, Thierry envisage de revenir en France, même si pour l’instant il s’est engagé en Equateur auprès d’athlètes, qui ont des échéances sportives pour la fin de l’année. Son retour pourrait également s’envisager pour la fin de l’année 2015.

 

Il nous fait un bref état des lieux, après un an passé à côtoyer les élèves du collège et les membres de la Communauté du Chimborazo.

Concernant le stade jouxtant le collège à vocation agricole, où Thierry a commencé à implanter quelques activités liées à l’athlétisme, le nouveau recteur de la communauté a promis la pose de panneaux de basket et ce qu’il faut pour les cours d’athlétisme. « Dans l’ensemble, on ne peut pas dire que les mentalités soient orientées vers l’athlétisme. Au collège il n’y a pas de piste, il faudrait un anneau pour courir. Et puis surtout les jeunes sont plus branchés football. Ils sont complètement passionnés par ce sport même si à l’heure actuelle, pour aller voir un match c’est 15$ l’entrée et qu’ils n’ont pas les moyens. Pour ma part, la vie au Chimborazo est difficile. Il fait froid, quand je monte à la communauté, je me lave à l’eau froide et je suis obligé de laver mon linge à la main… Tous les gens autour de moi ne parlent que le quichua. C’est trop dur. Pourtant je garde à l’esprit que le plus important dans le projet, c’est l’implantation de l’athlétisme au collège du Chimborazo ».

 

Dans un autre domaine, Thierry a essayé de travailler avec les éleveurs de bétail, pour qu’ils fassent progresser leur cheptel. « Je leur ai expliqué l’utilisation d’un carnet d’agnelage où on note les naissances. Je leur ai également parlé de l’utilisation du chien, qui peut être une aide précieuse pour l’éleveur. Ils ne comprennent pas. C’est difficile. Je n’ai peut-être pas le langage adéquat. Je leur ai dit produisez et ensuite seulement vous pourrez mettre en valeur vos produits. Il y aurait un marché immense au niveau du fromage, mais voilà, ils ont du lait mais ne savent pas faire de fromage… Et pourtant, le fromage du Chimborazo pourrait se vendre dans toute la région ».

Le tourisme

Les indiens du Chimborazo croient en l’avenir de leur région grâce au tourisme, mais ne savent pas comment y arriver. « J’ai essayé de leur faire comprendre qu’il y avait un gros potentiel touristique à atteindre par le biais du sport (courses d’altitude, etc.). Ils disent qu’ils veulent asphalter les chemins… mais là encore j’ai essayé de leur faire comprendre que ce n’est pas ce que les touristes recherchent. S’ils veulent attirer des touristes, il ne faut pas qu’ils goudronnent leurs chemins.

Il y a d’autres choses que je ne comprends pas : ils cuisinent par terre, font la lessive à la main… et à côté de ça certains d’entre eux se sont acheté, à crédit, un gros 4 x 4 à quarante mille dollars !

 

Au niveau des familles, il y a également un gros travail d’éducation à faire auprès des femmes et des jeunes filles. Qu’un grand nombre de filles de quinze ans se retrouvent enceintes, ce n’est pas normal. A mon sens, il y a énormément de choses à faire dans ce domaine-là.

Dans la famille qui m’héberge, les règles d’hygiène sont un peu aléatoires. Il y a de la vaisselle qui traîne et des cafards un peu partout. J’ai bien essayé de leur inculquer quelques rudiments et force a été de constater que huit jours après le passage de ma tornade blanche, il n’y avait plus de cafards. Mais les habitudes de vie sont là et il est difficile de les changer, même si ce n’est pas une généralité, car dans les familles aisées c’est bien différent ».

 

Pascal Préault a annoncé à Thierry Van Cauwenberghe qu’il vient de recevoir une demande de quelqu’un qui souhaite partir en Equateur. C’est une personne qui l’a contacté grâce au site de l’association. Actuellement, cette personne entraîne l’équipe de France cadet et junior en fond et demi fond. S’il part en Equateur, il souhaite faire un état des lieux de l’athlétisme équatorien et proposer ses compétences à la fédération en tant qu’entraîneur. Avant tout, il est important qu’il puisse obtenir un visa de travail.

« Dans une ville industrielle comme Ambato, tout le monde veut faire du profit précise Thierry. Si on travaille bénévolement, c’est assez mal vu, parce que ça fait de la concurrence à ceux dont c’est le travail. Ici, tu peux faire de l’argent en te lançant dans le commerce, c’est un peu comme dans les années soixante en France. Je crois que si j’avais la tchatche et vingt ans de moins, je pourrais me faire du blé ».

 

Côté pratique, en 2015 en Equateur, à Ambato, on peut trouver un appartement à 150 ou 200 dollars par mois. Et pour vivre décemment, il faut disposer d’environ 500 dollars mensuels. Côté charges, en 2015, l’eau c’est environ 5 à 6$, l’électricité 7 à 8$ et le téléphone environ 6$. Pour manger, un bon poulet, bien nourri, c’est 11 à 12$, avec de quoi se sustenter pendant trois jours, mais on peut aussi trouver moins cher… et moins bon. Pour aller à Quito ça coûte 3,25$ et de Riobamba au collège du Chimborazo, c’est 0,85$. Actuellement le salaire minimum équatorien est de 325$.

 

Le ressenti de Thierry quant aux courses locales auxquelles il a participé

Voici un exemple de la grande précarité qui entoure les athlètes en début de carrière : « Pour gagner 200$, une athlète équatorienne sélectionnée pour le championnat panaméricain, s’est inscrite à une course de côte dans un petit village, seulement quatre jours avant la course de championnat… résultat, elle a fait un mauvais temps aux dix mille mètres lors du championnat… »

« Quand on va courir ici, dans les petites courses locales, c’est toujours un peu l’aventure. Départ à 5 heures pour une course à 7 heures… le bus ne va pas jusqu’à l’endroit où se dispute l’épreuve et s’arrête deux kilomètres avant… et toi tu coures pour rejoindre le départ…

Tu t’entraînes en quelque sorte !

Parfois, une fois arrivé sur place tu te rends compte que la course ne part pas de l’endroit indiqué, mais d’un autre point situé cinq kilomètres en arrière… L’arrivée et le départ ne sont pas au même endroit et toi tu as ton sac sur le dos, du coup tu le jettes dans une voiture qui passe en demandant au chauffeur s’il va bien à l’arrivée… Et quand tu as fini la course, en sueur, tu as froid parce que tu n’as pas tes affaires… et il te faut une heure ou plus pour les retrouver !

A toutes les courses il y a une récompense en argent et ça crée un mauvais esprit. Les athlètes entre eux ne se font pas de cadeau… Parfois ils ne disent pas aux autres où se trouve la course et partent en faisant mine d’aller s’entraîner. Mon ami Francisco l’a déjà fait. Il me l’a avoué.

Il y a vingt ans il y avait environ quinze courses par an, maintenant il y en a une dans chaque village, mais il n’y a pas de calendrier répertoriant ces courses et chacun les trouve comme il peut. C’est un peu l’anarchie dans l’organisation.

Par exemple, il y a des courses où tu ne fais que de la montée… et tu te retrouves avec sept kilomètres de montée à 10% sur dix kilomètres de course. Moi je dis « c’est pas possible, on va au ciel ici… l’arrivée se fait au paradis ! »

Pour un européen ces courses sont hyper dures, car l’altitude n’aidant pas c’est très, très dur !

Propos recueillis le 8 août 2015 par Dominique Lavalette

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