Isabel et Jean Godin des Odonais

L’incroyable aventure / La increible aventura

À gauche : buste d’Isabel à Saint-Amand-Montrond – À droite : buste de Jean situé dans l’allée des savants à La Mitad del Mundo en Equateur

Contexte

L’ACADÉMIE DES SCIENCES et la forme de la Terre

Si la Terre était parfaitement sphérique, la distance entre un parallèle et le précédent serait exactement la même qu’entre ce parallèle et le suivant. Si elle est aplatie selon l’axe des pôles (ce que pense Newton), le parallèle suivant sera plus éloigné que le précédent. Or les mesures des Cassini en France montrent l’inverse : la Terre serait donc allongée selon l’axe des pôles ? Louis Godin réussit à convaincre l’Académie des Sciences de l’envoyer loin de France, près de l’équateur, afin d’obtenir une mesure plus significative.

Louis Godin

Louis Godin

Louis Godin naît à Paris le 28 février 1704 et meurt à Cadix le 11 septembre 1760. C’est peut-être pour cela que Saint-Amand-Montrond ne le revendique pas encore comme un de ses enfants. Pourtant son père, son frère aîné et sa sœur cadette sont nés à Saint- Amand et y ont été inhumés. Sa mère aussi y a été inhumée, quelques jours après la naissance de sa fille.

Louis étudie au collège de Beauvais, non loin de la place Maubert, à Paris. Puis il approfondit l’astronomie avec Joseph-Nicolas de l’Isle, associé astronome à l’Académie des Sciences ; «[…] en moins de trois années M. Godin fut en état de se faire connaître dans le monde savant, et même de se faire désirer à l’Académie des Sciences : il y obtint le 29 août 1725 la place d’adjoint […] » selon son éloge funèbre.

Quand son projet d’expédition à Quito est accepté, Louis choisit son cousin Jean Godin pour faire partie des « aides » que les trois académiciens désignés emmènent avec eux.

L’EXPÉDITION DE LA CONDAMINE

Le lundi 16 mai 1735, en rade de La Rochelle, les vents s’établissent enfin au nord-nord- est. La flûte royale Le Portefaix peut mettre sous voiles à dix heures, en partance pour La Martinique et Saint-Domingue. A son bord, le ravitaillement attendu par les colonies, mais aussi quatorze personnes, leur matériel et un chien : l’expédition de La Condamine, comme on dit aujourd’hui, part pour Quito.  En réalité, «l’ancien» en est Louis Godin. Son cousin saint-amandois Jean Godin l’accompagne.

L’arrivée en Amérique

De Saint-Domingue, l’expédition se rend à Carthagène, où deux officiers de marine espagnols se joignent à elle. Porto Bello et Panama sont les étapes suivantes. Puis La Condamine et Pierre Bouguer (prononcer «Bouguère») débarquent à Manta (Équateur) alors que leurs compagnons poursuivent jusqu’à Guayaquil (Équateur). Ces derniers arriveront à Quito le 29 mai, La Condamine le 4 juin, enfin Bouguer le 10 juin. La mission va pouvoir commencer son premier travail : déterminer la distance entre l’équateur et le 3e degré de latitude sud.

Jean godin des Odonais

Jean godin des Odonais

Saint-Amandois

Jean Godin est baptisé le 5 juillet 1713 par le curé « de la ville et paroisse du Vieux Château St Amand ». Son père est procureur au bailliage de Saint-Amand, son grand-père maternel est sieur des Moulions, avocat en parlement, bailli civil et criminel du bailliage de Saint-Amand, Epineuil et Bruères.

Un fragment de page de garde conservé par des descendants de la famille Godin nous apprend qu’en 1728 Jean était en classe de rhétorique (première) à Bourges.

Pendant la période consacrée au calcul de la distance entre l’équateur et le 3e degré de latitude sud, Jean et Jean-Joseph Verguin, un autre aide, sont chargés de mettre en place sur les montagnes des « signaux », qui sont visés deux par deux afin de mesurer l’angle entre eux.

On connaît aussi deux lettres de Jean envoyées à La Condamine les 4 et 31 mai 1738 : dans l’une « il envoie des vivres à La Condamine qui n’a plus rien à manger », l’autre est « à propos d’un majordome, et de la réparation de la selle de Bouguer ».

Le 3 octobre 1740, « M. des Odonnais [sic] partit pour Carthagène : je profitai de cette occasion pour le prier de se charger de la troisième caisse de curiosités d’histoire naturelle en tout genre, et de monumens de l’industrie des anciens Indiens que j’envoyais en  France » écrit La Condamine.

La rencontre avec Isabel

Le 29 décembre 1741, selon la transcription de l’acte de mariage par un auteur équatorien, le 27 décembre 1741 d’après La Condamine, Jean épouse « la fille de M. de Grammaison, Français né à Cadiz, et depuis corregidor d’Otavalo, dans la province de Quito ». Le général Gramesón (graphie espagnole) avait suivi au Pérou en 1724 le marquis de Castelfuerte, nommé vice-roi, auquel il s’était attaché en Espagne. À ce jour, aucun document connu ne nous indique ce qui conduisit à la conclusion de cette union matrimoniale ; ce que divers auteurs ont écrit pour combler ce vide ne représente que des conjectures.

La vie dans l’audience de Quito

Grâce à des documents d’archives trouvés à Riobamba et à Quito, l’auteur équatorien Carlos Ortiz Arellano a pu établir quelques faits concernant les premières années de vie commune du couple. Juan Godin est donné comme habitant Quito jusqu’en 1743, puis il se dit habitant de Riobamba. Il afferme la levée d’impôts pour les années 1743 et 1744. En septembre 1744, Isabel achète les terres maraîchères de San Antonio et les terres d’Aínche au village de Chambo. De 1743 à 1748 Jean pratique le négoce de tissus, ainsi que le montrent ses écrits au Cabildo de Riobamba pour recouvrer des créances impayées (le Cabildo était une institution judiciaire et administrative de première instance). La plupart des auteurs évoquent la naissance, pendant ces années, de plusieurs enfants tôt décédés. Seul l’acte de baptême de Maria Clara Manuela Godin Gramesón, le 19 août 1745, est connu de Carlos Ortiz A.

 

Le voyage de Jean à Cayenne

Bien des années plus tard, Jean écrira ceci à La Condamine : « Mon épouse désirait beaucoup de venir en France ; mais ses grossesses fréquentes ne me permettaient pas de l’exposer, pendant les premières années, aux fatigues d’un si long voyage. Sur la fin de 1748, je reçus la nouvelle de la mort de mon père ; et voyant qu’il m’était indispensable de mettre ordre à des affaires de famille, je résolus de me rendre à Cayenne seul en descendant le fleuve [l’Amazone], et de tout disposer pour faire prendre commodément la même route à ma femme. Je partis en mars 1749 de la province de Quito, laissant mon épouse grosse. J’arrivai en avril 1750 à Cayenne. J’écrivis aussitôt à M. Rouillé, alors ministre de la Marine, et le priai de m’obtenir des passeports et des recommandations de la cour de Portugal pour remonter l’Amazone, aller chercher ma famille, et l’amener par la même route. »

Mais les choses ne seront pas aussi faciles. Jean devra attendre le 18 octobre 1765 (quinze ans!) pour voir arriver à Cayenne « une galiote pontée, armée au Pará par ordre du roi de Portugal, avec un équipage de trente rameurs, et commandée par un capitaine de la garnison de Pará, chargé de m’y conduire, et du Pará, en remontant le fleuve, jusqu’au premier établissement espagnol, pour y attendre mon retour et me ramener à Cayenne avec ma famille ».

A l’arrivée de Jean à Cayenne, l’administrateur de la colonie lui avait fourni des secours, et indiquera en 1752 : « Ces secours, quoique modiques, l’ont mis en état de s’intriguer utilement et depuis je n’ai été dans le cas que [de] lui faciliter des travaux qui l’ont fait subsister ».

Jean obtiendra le privilège de la pêche du lamentin et de la traite avec les Indiens dans la rivière de Mayacaré pendant la guerre de Sept Ans ; il établira aussi une « habitation » (une exploitation agricole et forestière) sur la rive droite de l’Oyapok.

Le voyage d’Isabel dans la forêt amazonienne

Contre toute attente, Jean se persuade que la galiote portugaise n’est pas là pour lui permettre de ramener en Guyane Isabel et leur fille Manuela Josefa, née peu après son départ, mais pour le capturer et le faire disparaître. Jean a communiqué au secrétaire d’État à la Marine un projet de coup de main contre la rive gauche de l’Amazone, alors occupée par les Portugais. Jean imagine qu’ils ont eu connaissance de ce projet.

Le commandant de la galiote acceptera finalement d’emmener un remplaçant, Tristant d’Orcasaval. Ce dernier doit remettre des papiers au supérieur des missions espagnoles de la province de Maïnas, à La Laguna, qui fera le nécessaire pour qu’Isabel et sa fille rejoignent la galiote. Mais, selon Jean, arrivé en territoire espagnol, à Loreto, Tristant confie les papiers à un religieux en route pour Quito, et ils ne parviendront jamais à Isabel ; elle apprendra l’existence de la galiote par le bouche à oreille.

Elle ne quittera Riobamba que le 1er octobre 1769. Malheureusement, en avril 1768, Manuela Josefa était morte de la variole. Isabel est accompagnée de ses deux frères Juan et Antonio, de Martin, le fils aîné d’Antonio, âgé de six ou sept ans, de Juachin, esclave de son frère Juan, d’un autre serviteur noir nommé Pedro, d’une bonne nommée Tomasa, et d’une orpheline nommée Juana ; avec réticence, elle accepte aussi la présence d’un médecin français, Jean Roche, et de son aide Philippe Bogé, accompagnés d’un petit serviteur nommé Antonio, appartenant au premier. Trente et un Indiens portent Isabel et les bagages de la compagnie (au moins à partir de Baños). Le père d’Isabel les a précédés de quelques semaines pour faciliter leur voyage.

Les porteurs n’étaient engagés que jusqu’au village de Canelos, au bord du rio Bobonaza. Là, des habitants devaient construire des canots et emmener les membres de l’expédition jusqu’à la mission d’Andoas. Par malheur, le village est déserté à la suite d’une épidémie de variole. Seuls deux habitants et le sacristain sont restés. Les deux Indiens acceptent de construire un canot puis de conduire la petite troupe à Andoas, mais au lendemain du deuxième jour de navigation, ils ont disparu.

Les voyageurs tentent de manœuvrer eux-mêmes le canot. Le sixième jour après leur abandon par les Indiens, un canot sur la rive attire leur attention ; il appartient à un Indien à peine remis de la variole, mais qui accepte de les accompagner à Andoas. Malheureusement, le troisième jour, l’Indien et Juan Grameson  sont projetés à l’eau lors d’un choc contre un tronc immergé; le second seul parviendra à regagner la pirogue. Encore deux jours de navigation et Isabel et ses frères décident de ne pas aller plus loin. Un carbet est édifié sur la rive, au-dessus du niveau des crues.

Le lendemain, un lundi, seuls les deux Français ainsi que Juachin et Pedro vont poursuivre le voyage ; ils promettent d’envoyer du secours sous quinze jours à ceux qui restent là. Ils atteindront Andoas après cinq jours de navigation.

Deux jours suffiront à Juachin pour réunir des Indiens et repartir dans un grand canot, mais la rivière étant en crue, il leur faudra encore quatorze jours pour arriver au campement. Ils y trouveront tous les lits traînés à terre dans le carbet, le linge dispersé sur la plage mais sans qu’il n’y manque rien, des os humains sans plus de chair dans la forêt, un cadavre dans une espèce de fosse formée dans un coude de la rivière et un petit radeau mal fait échoué sur l’autre rive.

A leur retour à Andoas, le curé du lieu, le Dr. Juan Suasti, enregistrera par écrit les témoignages des Indiens, de Juachin et des Français à l’intention du supérieur des missions à La Laguna, le Dr. Nicolás Romero y Barrutieta. Celui-ci les transmettra au gouverneur résident à Omaguas, Antonio de La Peña. Ce dernier chargera Juachin de les remettre à don Joseph Diguja, président de l’Audience de Quito, où une enquête sera ouverte.

Et pourtant, « au temps du Carême » Juan Suasti et les habitants d’Andoas vont voir arriver Isabel, sauvée par deux couples d’Indiens. Quelque temps auparavant, un matin où ils mettaient à l’eau leurs canots, ils l’avaient vue sortir de la forêt, en loques, blessée, affamée. Jean racontera plus tard que, désespérant de voir arriver les secours, ceux qui étaient restés en arrière avaient quitté le campement à pied et qu’ils étaient morts l’un après l’autre de faim et d’épuisement.

Dorénavant Isabel est en de bonnes mains. Elle poursuivra le voyage, accompagnée de son père, qui l’attendait à Loreto. Prévenu de leur arrivée prochaine, Jean, possesseur d’une galiote, se portera à leur rencontre, et c’est par le travers de la rivière de Mayacaré qu’ils se retrouveront, avant de débarquer à Oyapock le 22 juillet 1770.

Isabel et Jean à Saint-Amand-Montrond

Le 21 avril 1773 Jean, Isabel et son père embarquent à Cayenne sur le navire Le Rasteau ; ils débarqueront à La Rochelle le 26 juin. La Condamine  fera publier le récit des tribulations d’Isabel sous la forme d’une lettre datée du 28 juillet que Jean lui aurait envoyée de Saint-Amand. Avant la fin de l’année, Jean se verra attribuer une pension à titre de « géographe du Roi ».

Il écrira au secrétariat d’État à la Marine en 1774 sur la manière de procurer à la Guyane un grand nombre de bestiaux. En 1787 il offrira de faire une traduction d’une grammaire et d’un dictionnaire péruviens pour être imprimés aux frais du Roi, et il sollicitera le cordon de Saint-Michel, sans succès.

Propriétaire terrien, il afferme pour neuf ans le domaine des Odonais et ses dépendances en octobre 1789. Le même mois, il achète une vigne jouxtant un de ses prés pour la mettre en herbe.

Le 21 février 1792 un neveu d’Isabel, Jean-Antoine Degrandmaison, se marie à Saint-Amand avec Magdelaine Picot ; quelques jours avant, à la signature du contrat de mariage, Isabel a fait de Jean-Antoine son héritier.

Le père d’Isabel avait été mis en terre le 29 novembre 1780 dans le grand cimetière (actuellement place de la République). Le 2 mars 1792 c’est au tour de Jean d’être inhumé. Isabel meurt le 27 septembre de la même année, pour être inhumée le lendemain. 

Nous vous proposons une version d’Isabel et Jean Godin des Odonais ; l’incroyable aventure, sans illustration mais avec toutes les références des sources que nous avons utilisées. Elle est téléchargeable en PDF en cliquant sur le lien ci-dessous.

Bonne lecture !